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Ma lettre à PowerPoint

Cher PowerPoint,

Je ne me rappelle plus du tout la première fois que je t’ai vu. Tu devais être assez transparent, invisible, diffus. Tu devais être comme celui qui, dans un groupe de lycéens, est toujours là mais qu’on ne remarque pas, celle dont on ne discute jamais l’absence quand elle est empêchée, celui qu’on a déjà oublié le lendemain de son déménagement.

Mais tu étais là et tu n’as pas déménagé. Tu t’es imposé.

Tes intentions étaient bonnes : tu voulais que chacun puisse s’appuyer sur toi pour illustrer ses propos dans une réunion, un séminaire, une conférence… on ne t’en voudra pas d’avoir piqué la place du rétroprojecteur et du transparent, mais tu t’y es mal pris. Très mal.
Là où tu aurais pu suggérer à l’orateur de renforcer ses messages par des éléments visuels, tu l’as incité à créer des listes à puces.
Là où tu aurais dû l’amener à écrire des messages courts, tu l’as aidé à coller des paragraphes entiers.
Là où tu aurais été honnête en insistant sur le fait que le support visuel projeté ne pouvait en aucun cas faire office de document à distribuer, tu as préféré te taire et laisser faire.
Là où tu l’aurais fait gagner en crédibilité en l’aidant à créer des graphiques simples mettant en valeur un message, tu lui as proposé de faire exactement la même chose qu’avec ton ami Excel : des graphiques complets, fournis, détaillés, qui ont leur place dans un document à lire à tête reposé.
Là où tu aurais pu te faire l’ambassadeur du bon goût, tu as lancé l’affreuse mode du clipart éculé et du wordart criard.
Là, enfin, où tu aurais dû lui faire entendre que la sobriété est gage d’un message clair et compris, tu l’as incité avec insistance à faire le malin en imposant à son auditoire des animations, transitions et autres pirouettes aussi ineptes que contre-productives.

Je vais être sincère avec toi : comme des centaines de millions de dirigeants, consultants, chefs de projet, commerciaux, assistantes, étudiants, entrepreneurs, directeurs, formateurs, professeurs, ingénieurs, je t’ai suivi pendant des années sans me poser de questions. J’ai « fait des PowerPoints » comme un ouvrier spécialisé du slide, j’ai imposé des petites lettres que je lisais docilement à des gens hypnotisés et j’ai répondu bêtement « oui » à la question récurrente : « Tu nous enverras les slides, hein ? ». J’ai donné l’illusion d’articuler mon discours parce que j’avais mis des puces devant des verbes à l’infinitif.

Mais c’est fini PowerPoint. Depuis plusieurs années je sais comment t’utiliser. Et je me méfie de toi comme de cet ami ambivalent dont les sourires cachent parfois la volonté de manipuler. J’ai fait de toi mon allié en ne m’arrêtant plus aux évidences, aux habitudes et aux attentes irraisonnées. Ce que j’ai perdu en confort, je l’ai gagné en crédibilité, en aisance et en captation de mon auditoire.
Je ne suis pas plus malin que les autres : ceux que tu continues d’amener sur les chemins pentus des réunions interminables où l’on finit happé par le tourbillon des textes denses, des graphiques alambiqués et des schémas emmêlés. J’ai juste pu prendre le temps de me poser et de réfléchir, parce que c’est mon métier.

Alors PowerPoint, je t’annonce une bien mauvaise nouvelle : nous sommes de plus en plus à savoir que ta fourberie n’a d’égal que ton talent. Et moi, je continuerai à œuvrer pour que ton talent mette en valeur celui des centaines de millions d’orateurs à travers le monde qui t’utilisent quotidiennement sans prendre le temps de se demander pourquoi.

J’ai écrit un grand texte pour te demander de faire du visuel, PowerPoint. C’est parce qu’on peut aimer les mots et aussi les images, mais que savoir faire la distinction entre les deux c’est la clé pour t’utiliser avec intelligence.

Les mots c’est moi. Le visuel c’est toi. Souviens-t-en.

Très cordialement,

Pascal Haumont

pascalhaumontMa lettre à PowerPoint
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